L’édito du Président
Le point de vue du biologiste.
L’avenir de l’humanité se révèle de plus en plus imprévisible et incertain. Quelle sera notre destinée dans les prochains siècles ?
Au cours de l’évolution du vivant, l’espèce humaine s’écarte du processus général de l’évolution emprunté par les autres espèces.
Une rupture se produit, il y a environ 12 000 ans. Notre espèce investit son environnement, en prend possession et lui impose les
changements qu’elle juge indispensables à sa survie, grâce au développement de son intelligence.
L’homme qui avait jusqu’alors vécu des produits offerts par la nature développe l’agriculture et l’élevage, ce qui va favoriser le développement démographique, stimuler la densité des populations, créer l’émergence de communautés et provoquer des migrations pour la recherche de nouveaux champs d’exploitation. L’histoire humaine montre l’occupation progressive de tous les milieux possibles, l’envahissement et l’exploitation de l’environnement, le développement de l’économie et de la finance qui en dématérialise l’impact, l’urbanisation intensive, les dissensions entre collectivités et conflits d’intérêts, cultures ou idéologies qui en découlent.
Cette emprise de l’homme sur son milieu atteint aujourd’hui un niveau paroxystique et planétaire. Elle est portée par les révolutions scientifiques, technologiques et industrielles, qui ont conduit au pouvoir des États et plus récemment celui des marchés qui échappent presque à tout contrôle. L’individu en tant que tel, sa famille et sa communauté immédiate ne sont plus reconnus comme porteurs de sens s’ils ne rentrent pas dans cette démarche de prise de possession du milieu et de l’argent qui le symbolise. Elle est devenue la « valeur universelle de l’espèce » selon laquelle chacun, chaque groupe se positionne pour être reconnu. Mais ce qui a été considéré jusqu’ici à comme une valeur fondamentale et les décisions qui la soutiennent, conduit notre espèce au seuil de son extinction et avec nous d’une très large partie de l’écosystème. Exploiter l’environnement sans restriction est en passe d’en réduire dramatiquement et irréversiblement la richesse, ce qui pourrait d’ailleurs finir de pousser l’homme à s’en détacher. Ainsi l’équilibre naturel des écosystèmes qui préservait les relations d’adaptation avec la nature environnante est profondément modifié chez l’homme contemporain. Les recherches de pouvoir, qui ne sont pas nouvelles mais se trouvent de plus en plus déconnectées de la nature et disposent de moyens de destruction de plus en plus titanesques, conduisent rapidement l’espèce à sa propre extinction, en se justifiant pourtant d’agir à son profit.
Si de nouveaux courants d’individuation et de resocialisation de proximité émergent, sous l’influence par exemple d’Internet, leur rôle reste flou voire ambigu.
Il apparaît nécessaire de repositionner la question de notre évolution humaine dans une nouvelle perspective, à la fois scientifique et existentielle. C’est dans une telle recherche de nouvel équilibre que s’inscrit la démarche de l’Institut de Médecine Environnementale. Comment peut-on permettre à chacun d’entre nous de devenir plus acteur de ses relations directes à son environnement ? Comment peut-on l’aider à mieux décrypter ses propres motivations, actes et engagements, à se redéfinir au centre de sa micro-organisation sociale ?
Ceci nécessite un véritable changement de paradigme, un investissement majeur dans l’étude de nos relations à notre environnement, par une approche véritablement transdisciplinaire : comment remplacer la compétition et la prédation par le co-développement, favoriser l’épanouissement conjoint des individus et collectivités ?
Serons-nous capables de dépasser les aveuglements et biais de raisonnements individuels et collectifs qui nous enferment, de développer nos immenses capacités d’intuition, de résolution et d’anticipation, d’empathie et de créativité… ?
Nous devons pour cela croiser recherches et partages de connaissances ou d’expériences sur nous-mêmes et notre cerveau, les mettre à disposition, avec une ampleur inédite, par tous les moyens connus ou à développer pouvant nous permettre de franchir ce saut quantique, ce plafond de verre : éducatif, managérial, comportemental, psychosociologique, philosophique. Investir, par tous moyens sérieux et ludiques, collectifs et ouverts aux initiatives, tous les lieux : la maison, l’école, l’entreprise, la cité, les réseaux sociaux…
Ce n’est pas gagné… mais je veux croire que nous en ferons une opportunité ! Car nous le savons tous, les grandes mutations collectives ne connaissent pas la linéarité. Et les crises se révèlent souvent favorables aux ruptures ! Une chose est sure : cela ne se fera pas sans nous…
Philippe van den Bosch de Aguilar, Pr. Émérite en Neurosciences, Université de Louvain-la-Neuve (Belgique).
TEDx : Philippe van den Bosch, « Cerveau, plaisir et… économie »
Les neurosciences illustrent de mieux en mieux comment fonctionnent les processus de prise de décision.
Conçus pour optimiser le plaisir dans la création de liens humains, ces processus peuvent peu à peu s’en détacher et desservir l’humain…